Ramon ALVAREZ° Monica BECUE° ° Juan José LANERO° ° °
Le vocabulaire gouvernemental espagnol (1979-1996)
On peut considérer la date du 6 décembre 1978 comme celle de la restauration d'un régime parlementaire en Espagne. En effet, ce jour-là, la constitution aujourd'hui en vigueur est adoptée; elle marque le retour aux principes démocratiques et couronne un processus engagé après la mort de Franco, le 20 novembre 1975. Une fois la constitution approuvée, les premières élections "constitutionnelles" se déroulent le 1er mars 1979. Le 30 mars 1979, le premier gouvernement responsable devant l'Assemblée est formé, dirigé par Adolfo Suarez, Premier ministre depuis juillet 1976; c'est la première fois qu'il doit, selon les nouveaux principes constitutionnels, obtenir la confiance du Parlement. Les discours d'investiture prononcés depuis lors n'ont pas été systématiquement étudiés. Pourtant, ils constituent une des traces des grandes transformations politiques vécues par l'Espagne. Entre 1979 et 1996 (cf. tableau 2), six assemblées différentes ont été élues; la démission d'Adolfo Suarez en février 1981 a causé le seul changement de chef de gouvernement non lié à des élections. Les discours ont été saisis par scanner à partir de la version publiée au Diario de Sesiones del Congreso de los Diputados (Journal des Sessions du Congrès des Députés), puis corrigés et normalisés mais non lemmatisés. Le corpus comprend 67 197 occurrences de 7 374 mots, c'est-à-dire ici de formes graphiques distinctes. Les sept discours ont des longueurs assez comparables, variant de 7 591 occurrences pour le plus court à 12 140 pour le plus long (qui est aussi le premier). L'objectif est d'étudier l'évolution du vocabulaire des discours d'investiture au cours de la période et d'en rechercher les principales caractéristiques. Le choix du vocabulaire est le résultat de plusieurs phénomènes: l'évolution du langage général dans la société espagnole, les évènements extérieurs concomitants et, bien sûr, l'orientation politique du futur Premier ministre. Mais avant de parler d'évolution et de caractéristiques lexicales et thématiques, il est bon de faire apparaitre ce qui reste stable dans le vocabulaire.
Le vocabulaire stable Les mots les plus employés sont des mots-outils: de, la, y, que, en, el, los, a, las sont répétés plus de 1 000 fois; del, una, un, con, para, se, por, es, como plus de 400 fois. On peut noter l'emploi usuel de la négation no (410 répétitions). Les mots pleins les plus fréquents sont politica (318), gobierno (254), Estado (171), Espana (161), sociedad (141), social (138), economica (108), anos (108), desarrollo (107), ser (106), problemas (103), Camara (101), esfuerzo (100). On peut remarquer que seul desarollo ("déroulement", "développement") figure dans la liste des substantifs stables: il désigne la suite des évènements. Si ceux-ci sont en partie imposés ainsi par la situation d'énonciation, ils résultent aussi d'un consensus implicite sur le contenu des discours d'investiture. L'indice de répartition (IR) de Hubert-Labbé (Hubert et Labbé 1990) permet de déterminer les mots employés de façon régulière tout au long du corpus. Une valeur proche de 1 indique que le mot est employé de façon régulière, une valeur proche de 0 est au contraire la marque d'un usage circonstanciel, localisé, du mot.
Tableau 1. Les mots stables
Le tableau 1 reproduit les mots employés au moins 15 fois par l'ensemble des orateurs dont l'indice de répartition est supérieur ou égal à 0.60. Les mots sont regroupés selon leur catégorie syntaxique. Les mots grammaticaux l'emportent évidemment dans les hautes fréquences mais ils sont loin d'être les seuls mots réguliers. Par exemple, le plus régulier n'en est pas un; il s'agit de dimensión, avec un indice de répartition égal à 0.75 (et une fréquence de 18) et il est suivi par exige (0.74; 25). Les substantifs sont largement plus nombreux que les verbes et les adjectifs. La non-lemmatisation du texte éclate les verbes en de nombreuses formes lexicales différentes et l'emploi stable d'un verbe peut être dissimulé par la variation de ses flexions et par la non prise en compte des flexions peu fréquentes. D'autre part, les adjectifs servent à apporter les nuances et à adapter le discours à la situation, ce qui rend leur usage plus localisé.
Originalité et diversité du vocabulaire des sept discours
Originalité du vocabulaire L'originalité d'un discours se mesure par comparaison. L'indice d'originalité est le ratio entre le nombre observé de mots propres à celui-ci et leur effectif théorique déduit de l'ensemble du corpus (Labbé et Hubert 1993). Un indice supérieur à 1 indique une originalité supérieure à la moyenne, un indice inférieur à 1 une originalité inférieure. Le tableau 2 montre les résultats obtenus pour les sept discours. Trois discours présentent un indice d'originalité supérieur à la moyenne, dans l'ordre: Gonzalez-1, Suarez et Calvo-Sotelo. Ce sont les trois premiers discours, ils ne s'appuient sur aucune tradition et emploient des mots qui, en grande partie, ne s'installeront pas. Les deux déclarations intermédiaires (Gonzalez-2 et Gonzalez-3) sont, en revanche, les moins originales. À la fin de la période étudiée, l'indice d'originalité augmente et se rapproche de la valeur moyenne : une certaine norme lexicale serait-elle en train de s'établir?
Diversité du vocabulaire L'indice de diversité du vocabulaire d'une partie d'un corpus mesure la capacité plus ou moins grande du locuteur d'éviter les répétitions de mots, c'est-à-dire sa capacité de diversifier le vocabulaire et de mobiliser synonymes et nuances (Labbé et Hubert 1993). Les valeurs obtenues n'ont de sens que par comparaison. Pour neutraliser l'effet de la longueur de la partie étudiée, l'indice de diversité est la moyenne du nombre de mots distincts obtenus sur tous les blocs de mots consécutifs de longueur n que l'on peut former dans la partie de longueur N (ici, n est égal à 1 000).
Tableau 2. Originalité et diversité des discours Calvo-Sotelo présente l'indice de diversité le plus élevé (égal à 586) et Suarez le plus faible (égal à 523). Le discours du premier présente des caractéristiques plus proches d'un texte littéraire et correspond à son style comme dirigeant politique, souvent considéré comme trop distant. Le dernier discours de Gonzalez a un vocabulaire beaucoup moins diversifié que celui de ses autres discours: pour la première fois, Gonzalez affronte une votation difficile, ce qui l'a amené à faire un discours simple, tant dans sa structure que dans son vocabulaire, qui donne une place majeure au pacte avec les nationalistes.
Évolution du vocabulaire et périodes thématiques de 1979 à 1996 Nous voulons maintenant étudier l'évolution du vocabulaire et essayer de répondre aux questions suivantes: quels mots nouveaux apparaissent et lesquels disparaissent? À quel rythme? Quel est le facteur dominant: le clivage politique ou le clivage temporel? Un autre facteur?
Accroissement et spécialisation du vocabulaire Le modèle de partition du vocabulaire de Hubert-Labbé (Hubert et Labbé 1993), raffinement du modèle de croissance du vocabulaire proposé par C. Muller (Muller 1977), offre des critères pour déterminer les ruptures thématiques d'un corpus séquentiel. Il opère à partir de tous les mots distincts. Il s'appuie sur la considération suivante: tout locuteur dispose d'un vocabulaire "général" polyvalent, réserve de mots utilisés en toutes circonstances et de plusieurs vocabulaires locaux, dans lesquels il puise selon les moments et les circonstances de son discours. La méthode permet de calculer la proportion p de vocabulaire spécialisé du locuteur. Pour ce corpus, p vaut 0. Cela indique une hypergénéralité dans l'emploi du vocabulaire et signifie une forte atemporalité des discours. Les candidats, habituellement nommés pour toute une législature, emploient un langage général, exposent leur conception du gouvernement (resolver los problemas, afrontar las dificultades, asegurar la estabilidad, con competencia y de manera eficaz, etc.) plutôt qu'un programme concret. Ce résultat rejoint le faible nombre de mots spécialisés. Le modèle de Hubert-Labbé calcule la croissance marginale théorique du vocabulaire, qui dépend du rythme moyen d'accroissement du vocabulaire propre au corpus étudié. L'écart entre la croissance observée et la régularité théorique permet de situer les ruptures thématiques. Il existe des périodes d'apport de vocabulaire supérieur à la valeur espérée (caractérisées par une arrivée massive de vocabulaire, l'apparition d'un nouveau thème), et d'autres d'apport inférieur à la valeur théorique (l'épuisement du thème en cours, ou bien le retour d'un thème traité antérieurement). La figure 1 montre les écarts entre la croissance observée du vocabulaire et la croissance espérée selon le modèle de partition de Hubert-Labbé.
Figure 1. Accroissement du vocabulaire Les deux premiers discours - Suarez et Calvo-Sotelo - apportent un nombre relativement faible de mots: la courbe ne passe jamais au dessus de l'axe. Ces deux locuteurs inaugurent l'ère démocratique, mais ils sont loin de lui donner son vocabulaire. Le premier discours de Gonzalez marque un changement: il apporte un très grand nombre de mots nouveaux, lié à sa très grande originalité (tableau 2); celle-ci indique, bien sûr, qu'un grand nombre des mots apportés par Gonzalez-1 ne sont pas repris dans les déclarations gouvernementales suivantes ni par Gonzalez lui-même. Les apports de Gonzalez-2 et Gonzalez-3 sont relativement faibles. Avec le quatrième discours, Gonzalez-4, on note un léger rebond. Enfin, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, l'arrivée d'Aznar, qui signifie le retour de la droite au pouvoir, n'est pas accompagnée d'un afflux de mots nouveaux. Ces constatations soulèvent plusieurs questions: Aznar utilise-t-il les mots apportés par Gonzalez ou revient-il aux mots des gouvernements de droite, Suarez ou Calvo-Sotelo? On voudrait aussi connaitre le sort que reçoivent les nouveaux mots apportés: disparaissent-ils rapidement ou bien sont-ils repris dans les discours suivants? L'analyse de correspondances apportera des éléments de réponse.
Analyse des correspondances et dispersion lexicale L'analyse factorielle des correspondances (AFC) du tableau discours / mots, suivie d'une classification automatique, met en évidence les proximités entre discours, du point de vue de l'emploi du vocabulaire, et fournit une autre vision de l'évolution du vocabulaire. Seuls les mots prononcés au moins cinq fois sont ici conservés. La structure sur l'ensemble des discours visualisée par l'AFC (figure 2) ou mise en évidence par la partition en classes (figure 3) varie peu lorsqu'on emploie les seuils de 5, 15 ou 25 occurrences: il s'agit bien d'une structure robuste. Première constatation: le premier axe (qui regroupe à lui seul 26,4% de l'information statistique) n'est pas un axe chronologique comme il est habituel pour un corpus temporel homogène; en effet, lorsque dans un corpus de ce type le renouvellement du vocabulaire est prédominant, les différentes parties du corpus se positionnent sur le premier plan factoriel le long d'une courbe de forme approximativement parabolique (Salem 1991). C'est sur le deuxième axe (18,1% de l'information) que l'on retrouve l'ordre chronologique des discours, si l'on excepte celui de Calvo-Sotelo, dont la qualité de représentation est presque nulle sur le premier plan, ce qui indique qu'il est très peu concerné par cette analyse. Par conséquent, le facteur temporel est important, mais n'est pas le principal. Conclure à partir de l'appartenance politique des candidats, que le clivage droite/gauche est le facteur dominant serait néanmoins précipité. Il faut noter (figure 2) que Gonzalez-1 et Gonzalez-4 sont, sur le premier axe, très proches du discours d'Aznar. La recherche des mots qui s'opposent sur cet axe, ainsi que le retour aux données pour connaitre la fréquence des mots dans chaque discours, permettent de repérer les mots qui rendent compte des oppositions et des rapprochements. Il faut toujours tenir compte que ces derniers sont non seulement dus aux mots communs employés mais aussi à ceux qui sont évités.
Figure 2. Premier plan de l'analyse de correspondances de la table croisant discours et mots répétés au moins 5 fois
Ce premier plan factoriel montre une opposition claire entre les discours intermédiaires (Gonzalez-2 et Gonzalez-3) d'une part, et les premiers et derniers discours, d'autre part.
Premier axe: organisation de l'État espagnol / projection internationale La lecture des mots qui s'opposent sur l'axe horizontal lui donne un sens clair. Du côté positif de l'axe, sur sa droite, on trouve un grand nombre de mots qui montrent la préoccupation pour l'organisation de l'État et la discussion des principes constitutionnels: identidad, diversidad, regional, constitucional, constitucionales, ordenamiento, autonomia, comunidades, financiacion, convivencia, territorial, Derecho, articulo, Ley, derecho, derechos, democracia, libertades, modelo, espanoles, régimen, accion, responsabilidad, Administracion, valores, cumplimiento, reforma, reformas, mejor, mejora, mejorar, garantizar, expresion, principio, orden, cambio. Du côté négatif de l'axe, sur sa gauche, les mots Comunidad, Economica, comunitaria, adaptacion, evolucion, Tratado, Adhesion, Alianza, integracion, Este, América, Latina, aislamiento, saneamiento, recuperacion, crecimiento, tasa, consumo, desigualdad, instrumento, instrumentos, terrorismo, proyecto, nacion, Europa, Europeos, Europeas, Mediterraneo, ciudadanos. Ainsi l'on peut constater que les discours à droite sur le premier axe (première période: Suarez, Calvo-Sotelo et Gonzalez-1, et dernière période: Gonzalez-4 et Aznar) privilégient l'organisation de l'État et des organes administratifs ainsi que l'articulation entre l'État central et les Autonomies. C'est un débat attendu, quasiment obligatoire pendant la période initiale; c'est un sujet de discussion, et parfois de confrontation, entre partis nationalistes (de Catalogne et du Pays Basque, principalement) et les partis appelés "étatiques", car présents dans toute l'Espagne, discussion répercutée dans les médias mais aussi réellement présente dans la société en général. Cette problématique est d'autant plus un thème des discours Gonzalez-4 et Aznar que les deux candidats, dirigeants de partis étatiques, ont dû demander l'appui de partis nationalistes pour leur investiture: PNV, du pays basque, et CIU, de Catalogne, pour le premier; PNV, CIU et de plus le petit parti canarien, pour le second. Les mots cités plus haut ne sont pas tous employés pendant la première et la dernière période, ils peuvent être propres à l'une des périodes ou même nettement plus employés par l'un des orateurs. Par exemple, les futurs chefs de gouvernements de la première période mentionnent la Constitucion, ceux de la deuxième période la reforma de la Constitucion. L'articulation entre l'État et les communautés autonomes est posée comme un problème d'équilibre territorial et de financiacion ou de corresponsabilidad fiscal seulement dans les discours de la dernière période. Par contre, les mots cambio (à comparer avec reforma déjà cité comme propre aux derniers discours) et régimen (mot hérité du régime franquiste et aujourd'hui pratiquement inutilisé) sont propres à la première période.
Deuxième axe: la chronologie Cet axe oppose les discours Suarez et Gonzalez-1 (22,9% et 21,5% de l'information), dont les coordonnées sont à peu près égales sur cet axe, aux discours Gonzalez-4 et Aznar (17,2% et 37,4% de l'information). Les discours des dates intermédiaires occupent des positions centrales. Les oppositions entre mots lues sur ce deuxième axe révèlent son contenu lexical. En haut, on trouve des mots très fréquents dans la première période (parfois même propres à cette période), comme hombre(s), humana, dignidad, ideas, fundamentos, libertades, libre, pueblo(s), espanol, palabra(s), horizonte, esperanza, progreso, realidad, historica, paro, cambio, autonomico, justicia, rigor, necesidades, donc de nombreux mots à contenu humaniste, qui font allusion au changement qu'a expérimenté l'Espagne, à l'espoir que ce changement signifie, etc. On peut noter le mot paro (chômage): ce problème qui couvre les quinze ans, est plus grave aux périodes initiale et finale, mais on ne parlera plus de paro (chômage), mais de politica de empleo (politique d'emploi). En bas, on trouve modelo, impulso, impulsar, compromis, competitividad, Autonomas, dialogo, colaboracion, acuerdo, financiacion, c'est-à-dire un discours loin des envolées des premiers temps de la démocratie, marqué par la discussion avec les partis nationalistes et la nécessité de rechercher une stabilité qui permette de gouverner.
Partition automatique des discours en périodes L'arbre de classification hiérarchique (critère de Ward) construit à partir des coordonnées factorielles sur les six axes, montre que les déclarations Gonzalez-4 et Aznar sont les deux discours les plus proches et aussi que la première daclaration de Gonzalez est relativement proche de celles de Suarez et de Calvo-Sotelo.
Figure 3 Arbre hiérarchique de la classification des discours
À partir de la lecture de cet arbre, on peut considérer qu'il existe trois groupes de discours, qui constituent des périodes, puisque la formation de ces groupes respecte l'ordre chronologique. Les déclarations se trouvent réparties dans ces trois périodes (reportées avec les mots qui les concernent sur le plan factoriel de la figure 2), selon leurs affinités lexicales: 1) l'inauguration de la Constitution, qui inclut la première alternance de partis au pouvoir, avec Suarez, Calvo-Sotelo et Gonzalez-1; 2) l'intégration économique et politique de l'Espagne dans les structures internationales, avec Gonzalez-2 et Gonzalez-3; 3) le retour de la problématique de l'articulation de l'État central et des autonomies avec Gonzalez-4 et Aznar.
Caractérisation des périodes À l'intérieur d'une même période, chacun des discours peut présenter des caractéristiques lexicales très marquées, qu'il serait trompeur d'attribuer à toute la période. Pour cette raison, nous avons étudié conjointement les mots caractéristiques des périodes et ceux des discours pris un par un.
Première période Les mots caractéristiques de cette période correspondent surtout à deux thèmes: la Constitution, l'organisation de l'État et les réformes légales (avec les mots Constitucion, publica, regimen, leyes, proyecto, autonomico, soluciones, cambio), d'une part, et la liberté et la dignité humaine (pueblo, hombres, dignidad, palabras, ciudadana, valores, todos, pueblos) que le retour de la démocratie a permis de retrouver, d'autre part. Le premier thème est plus important dans le discours de Suarez que dans les suivants. En effet, on trouve parmi les mots caractéristiques de ce premier discours: Constitution, Derecho, régimen, estatal, derecho, leyes, Ley, Proyecto, derechos, publica . Les deux autres orateurs de cette période, Calvo-Sotelo et Gonzalez-1, s'attardent moins sur ce thème: seuls sont présents les mots transicion dans le discours de Calvo-Sotelo (avec cette phrase employée comme un slogan, "La transicion ha terminado") et cambio dans celui de Gonzalez. Calvo-Sotelo emploie, et en cela se montre original, de nombreux mots liés à la reconversion industrielle et aux problèmes économiques (reconversion, precios, industrial, sector, energia, agricultura). Suarez et lui-même prononcent le mot regimen, chargé d'une forte connotation franquiste et qui disparaitra totalement par la suite. Gonzalez, dans son premier discours, privilégie le deuxième grand thème de cette période et énonce avec une fréquence notable les mots hombres, progreso, pueblo, palabras, humanos, horizonte, dignidad, todos, deber y pueblos. Deuxième période C'est la période de l'entrée de l'Espagne sur la scène internationale et, par conséquent, l'entrée de mots de ce domaine dans le discours politique. Ainsi, les mots Comunidad, comunitaria, Acta, Unica, Cooperacion, Paises sont caractéristiques de cette période. Si l'on étudie chacun des deux discours de cette période séparément, tous deux prononcés par Gonzalez, on peut voir que le premier privilégie la communauté européenne (avec integracion, Europea, comunitaria, Comunidad) tandis que le second élargit le champ international et s'intéresse aux pays de l'Est (Este est même le mot le plus caractéristique de ce discours) ainsi qu'à d'autres pays. Avec un seuil de fréquence un peu moins élevé, on verrait apparaitre America et Latina. Outre ce premier thème, le problème du terrorisme (terrorismo) est abordé, principalement dans le premier discours. Les problèmes intérieurs sont identifiés (interior), par opposition aux problèmes internationaux, les allusions à la sphère économique sont liées à la consommation (consumo) car c'est, pour l'Espagne, une époque de prospérité. Le premier des deux discours de cette période met davantage l'accent sur le redressement économique (saneamiento, recuperacion, evolucion, economica), tandis que le second parle de la croissance et de son rythme (crecimiento, ritmo, aumentar, consumo, infraestructuras). Troisième période Cette période est celle du pacte: pacto en est le terme le plus caractéristique. Comme nous l'avons indiqué plus haut, les deux candidats de cette période, Gonzalez et Aznar, ont dû rechercher les votes des partis nationalistes basque et catalan. Il faut donc signer des "pactes". Ces alliances entrainent une nécessaire re-discussion de l'organisation de l'État espagnol, de l'articulation de l'État et des Autonomies et de l'équilibre fiscal: ce qui entraine les mots fiscal, reforma, acuerdo, autonomas, Comunidades, reformas, consolidacion, dialogo, legislatura, gasto, territorial, financiacion, colaboracion. Ceci est associé à une consolidation de la démocratie (consolidacion et democracia). Puisque ce n'est plus un seul parti qui soutient le gouvernement, les autres partis acquièrent de l'importance dans le discours (d'où la présence forte de partidos). Le rôle du gouvernement est d'inciter (impulsar, impulso) les initiatives prises par diverses institutions plus que de diriger. Malgré leur grande proximité, ce sont les plus proches selon la distance du chi-2 calculée à partir des mots prononcés au moins cinq fois (figure 3), les deux discours de cette période montrent néanmoins des différences notables et significatives. Ainsi, Gonzalez conserve son intérêt pour la politique internationale (Union, mundial, europeo) et aborde les problèmes économiques en soulignant les difficultés actuelles (competitividad, economica, recuperacion, mercado laboral). Les agents sociaux (interlocutores sociales) comme figure de la vie politique sont apparus avec le premier discours de Gonzalez (1 citation), mais prennent nettement plus d'importance dans ce discours-ci (7 citations). Ils ne seront mentionnés qu'une fois dans le discours d'Aznar. Celui-ci met l'accent sur la stabilité qu'il pourra offrir grâce aux accords avec les partis nationalistes (cumplimiento, compromiso, estable, acuerdos), souligne l'importance de la convergence avec les autres pays européens (convergencia), commente la réforme de l'administration (reducir, Administracion) qu'il veut entreprendre pour en réduire le cout et pense offrir ainsi un modèle (modelo) de gouvernement. Les mots qui évoquent les difficultés ou la crise sont significativement sous-employés ou même totalement absents: difficultades et crisis ne sont jamais prononcés alors que leur fréquence globale est de 24 et 53). On peut noter que le rapprochement entre la première et la dernière période, mis en évidence par l'AFC, n'apparait nullement ici. Ce qui montre bien la nécessité d'utiliser des approches différentes pour l'analyse du texte. * **
Ce corpus présente plusieurs traits remarquables. Une de ses caractéristiques est d'inaugurer une nouvelle époque politique: il ne suit pas une tradition ou une norme établie antérieurement. On ne doit pas oublier cela si l'on veut comprendre certains des résultats obtenus. L'invention d'un discours politique démocratique et celle d'une tradition parlementaire ne se sont pas faites sans tâtonnements ni hésitations. Il faut souligner la grande homogénéité du vocabulaire de l'ensemble du corpus, un vocabulaire institutionnel commun à tous les candidats et peu marqué par l'idéologie ou même par la personnalité de l'orateur (les discours de Gonzalez ne sont pas particulièrement proches entre eux). De façon surprenante, ni la chronologie ni l'idéologie politique des chefs de gouvernement ne sont le principal moteur des changements de vocabulaire car la résurgence de la problématique de l'organisation de l'État et des Autonomies rapproche les premiers et les derniers discours. Vingt-cinq ans après la fin du franquisme, l'Espagne n'a pas réussi à résoudre ce problème. Deux éléments nuancent ces observations: - e temps a une influence marquée sur les changements lexicaux et prime sur le facteur idéologique. La cause principale des ruptures thématiques n'est pas à rechercher dans l'alternance des partis au pouvoir, ni dans le changement de candidat. Elle réside plutôt dans l'évolution de l'Espagne et de sa société. - enfin, les candidats apportent leur marque personnelle aux déclarations: il est ainsi clair que la projection internationale de l'Espagne et la politique internationale, qui apparaissent dans le deuxième discours de Felipe Gonzalez, constituent des thèmes qui lui sont chers; ils ne disparaissent pas de sa dernière déclaration, ce qui la différencie clairement de celle d'Aznar, qui en est pourtant lexicalement proche.
Résumé / Abstract / Compendio
LE VOCABULAIRE GOUVERNEMENTAL ESPAGNOL (1979-1996) Les discours de politique générale aux Cortes font l'objet d'une analyse lexicométrique qui fait apparaitre les mots stables de la période puis l'originalité et la diversité des 7 discours. L'étude de l'accroissement du vocabulaire et de son évolution met en évidence 3 périodes, où la cause principale des changements lexicaux n'est pas l'alternance des partis au pouvoir mais l'évolution de la société espagnole. Mots clés: Espagne, discours au Parlement, lexicométrie, 1979-1996
SPANISH GOVERNMENTAL VOCABULARY (1979-1996) Speeches of general politics in the Cortes are the subject of a lexicometric analysis that highlights the standard vocabulary of the period as well as the originality and diversity of the seven speeches. The study of the growth and evolution of vocabulary reveals three stages, in which the principal cause of lexical change is not the alternation of the parties in power, but rather the evolution of Spanish society. Key words: Spain, speech in parliament, lexicometry, 1979-1996
EL VOCABULARIO GUBERNAMENTAL ESPAÑOL (1979-1996) Los discursos de política general frente a Las Cortes son el objeto de un análisis lexicométrico que hace aparecer las palabras estables durante el período y la originalidad y la diversidad de siete discursos. El estudio del incremento del vocabulario y de su evolución pone en evidencia tres períodos dentro de los cuales la causa principal de los cambios lexicales no es la alternancia de los partidos en el poder sino la evolución de la sociedad española. Palabras claves: España, discursos frente al Parlamento, lexicometría, 1979-1996 |