LES MOTS QUI TOUCHENT
LE MARKETING TEXTUEL APPLIQUÉ À LA CHANSON FRANÇAISE
Stéphane Ganassali
IUP d'Annecy - Université de Savoie
Institut de Recherche sur l'Entreprise et la Gestion
4, chemin de Bellevue - BP 806 - 74016 Annecy Cedex - France
Résumé
The purpose of this research is to study the correlations between some lexical and textual characteristics and the "efficiency" of the text. Based on a textual marketing approach, a comparison between French Hit singles and other more ordinary songs is offered. Results indicate that the Hits textual features are significantly different both in terms of style and content. Phonetic aspects are also investigated.
De nombreuses recherches utilisent l'analyse statistique des données textuelles dans un objectif de catégorisation. En science politique (Moscarola, 1995), en sciences de gestion (Gavard-Perret et Moscarola, 1995), en lettres (Ramos et Reinert, 1995), il s'agit de produire des classifications afin de repérer par exemple des groupes de textes similaires (discours, publicités ou poèmes) ou d'identifier des locuteurs aux caractères identiques (hommes politiques, marques ou écrivains).
Plus rares sont les travaux qui tentent de mettre en relation les caractéristiques textuelles avec des mesures de perception ou de performance. Pourtant, dans de nombreux domaines, il est convenu que certains mots ou certaines expressions sont plus "efficaces" que d'autres. Ne sagit-il pas dailleurs de lun des principes fondamentaux de la rhétorique (Gardes-Tamine, 1996) ? Cette question est cruciale dans de nombreux métiers : littérature, publicité, politique, ou vente par exemple, où lon est intuitivement convaincu que certains mots "font mouche" et dautres pas, que la forme du discours dans sa longueur et sa diversité est un facteur déterminant de la capacité à toucher, à convaincre. Les préconisations usuelles dans ces domaines dapplication sappuient plus souvent sur des croyances empiriques que sur des connaissances sérieusement établies. Les mots et les formules conseillés par la P.N.L. ou les techniques de vente (Heim, 1988 par exemple) ont-ils prouvé leur efficacité ? Les principes guidant la rédaction des slogans sont-ils issus dune expérimentation réelle ? Les "petits mots" soufflés aux oreilles de nos hommes politiques par leurs conseillers ont-ils subi a priori lépreuve de lapprobation publique ? En somme, peut-on valider lapproche du "marketing textuel" ?
Pour initier une voie de recherche dans ce sens, nous nous sommes intéressés dans un premier temps à une forme littéraire particulière : la chanson. Faisant abstraction de la composante musicale (limite à prendre en compte), certains auteurs déclarent que le choix des paroles va directement conditionner le succès de leurs créations. Existerait-il pour l'écriture - et pour la chanson en particulier - des mots plus séduisants et donc plus efficaces que d'autres ? Le marketing textuel peut-il trouver une application pertinente dans ce domaine ? En matière de chansons, nous pouvons recenser un certain nombre didées reçues, véhiculées le plus souvent par les artistes eux-mêmes. Pour écrire un succès, il faut un texte court, utilisant un langage assez simple et répétitif pour marquer les esprits. Il faut sexprimer à la première et à la deuxième personne du singulier pour un échange plus direct entre lartiste et son "fan". Paul Mc Cartney souligne la présence volontaire du "me" et du "you" dans les premiers succès des Beatles. En outre, il faut parler damour et utiliser quelques rimes qui sonnent. Certains auteurs vont même jusquà avouer quils rédigent leurs paroles en sintéressant avant tout à leur sonorité, cest le cas de Didier Barbelivien, expert en matière de "tubes". Cette dernière considération nous amène à prendre en compte les aspects phonétiques de la chanson, que nous évoquerons dans une partie finale de notre article.
L'objectif de notre travail consiste donc à isoler les caractéristiques lexicales des fleurons de la chanson française. Pour traiter la question posée, nous avons constitué deux groupes de textes écrits par 20 artistes francophones. Le premier groupe est composé de 100 succès et le second inclut une centaine d'uvres restées dans l'anonymat. Grâce au logiciel Sphinx Lexica (Baulac et Moscarola, 1995), notre travail consiste ensuite à repérer les caractéristiques de chaque auteur et surtout à établir les particularités des chansons à succès. Nous analysons les différents lexiques afin de déterminer "les mots qui touchent", nous identifions les thématiques centrales et les segments répétés les plus marquants. Les résultats conduisent à des conclusions très intéressantes.
En prolongement de cette étude lexicale, nous nous sommes intéressés à la dimension phonétique des textes, faisant l'hypothèse qu'au delà des mots proprement dits, l'importance des phonèmes choisis était prépondérante. Nous avons donc ensuite changé d'unité statistique pour nous concentrer sur les phonèmes spécifiques des textes à succès. Les issues de ce travail laissent entrevoir des perspectives de recherche tout à fait prometteuses.
Selon une approche de marketing textuel, les hypothèses de la recherche soutiennent que les caractéristiques textuelles et lexicales des chansons à succès sont différentes des chansons qui ne sont pas devenues des succès, tant sur la forme que sur le fond.
H1 : La longueur des succès est plus limitée
H2 : La répétition est plus forte au sein des chansons à succès
H3 : Les succès peuvent être caractérisés par une sur-représentation de différentes formes textuelles, substantifs, verbes, adjectifs et pronoms.
H4 : Les segments répétés sont plus nombreux au sein des chansons à succès
H5 : Les chansons à succès privilégient des phonèmes particuliers, plus "sonnants".
1. Un échantillon de 200 uvres
Nous avons constitué une base de données textuelles de 200 chansons écrites en français. Vingt artistes ont été choisis parmi les plus célèbres de la profession. Pour chaque artiste, nous avons sélectionné cinq succès et cinq chansons peu connues, ce qui constitue finalement deux échantillons, lun comprenant 100 tubes et lautre 100 non-tubes. Cette classification effectuée par lauteur a donné lieu à une validation par un groupe de cinq experts : journalistes, disquaires, artistes, tous spécialistes de la chanson française. Ceux-ci - à partir de la liste alphabétique des 200 titres - ont construit leur propre classification. Pour chacun des cinq juges, le taux daffectations différentes ne dépasse jamais 5%, ce qui est tout à fait satisfaisant.
Les textes ont été récupérés via lInternet au sein de sites dédiés à la chanson française (les sites web de Alain Pierre et de David Baltaro, de Mikhail Foursov, de Leni "Botanaige", la French Music Database de Anthony Patrick Lee). Le corpus final compte 48669 formes pour un lexique de 5968 mots. Précisons que les refrains nont été saisis quune seule fois pour ne pas introduire de "fausses répétitions" au sein du texte.
2. Des auteurs aux styles très différents
Avant de tester nos hypothèses, nous nous sommes intéressés aux différences entre les artistes. Afin de comparer les styles des auteurs, nous avons utilisé quatre indicateurs usuels. La longueur de la chanson est considérée tout dabord (N) puis nous mesurons sa richesse (V) qui indique la longueur du lexique. Ainsi, N décompte le nombre total de formes graphiques présentes dans le texte, V le nombre de formes différentes. La répétition (R) indique le nombre de fois où chaque forme du texte se trouve répétée. R=N/V. La banalité (B) calcule la fréquence moyenne de chaque forme au niveau du lexique total. De par leur construction, la longueur et la richesse sont corrélées, tout comme la répétition et la banalité.
Les artistes de la chanson française se distinguent par leurs options mélodiques mais aussi - comme on le voit sur la figure ci-dessus - par les caractéristiques de leurs textes. On retrouve sur cette carte différents types décriture. A droite, les auteurs de "chansons à texte", qui se caractérisent par une certaine prolixité : Brassens, Renaud, Duteil, Goldman. A lopposé, se retrouvent des artistes préférant la chanson ludique de type "gag" dont le texte nest quun prétexte pour faire sonner la musique. Correspondant à ce profil, Gainsbourg ou Polnareff sont dailleurs des musiciens prodiges. Sur le deuxième axe, nous repérons dune part, des chanteurs dont les paroles sont marquées par la simplicité et luniversalité, traitant de thèmes courants voire banals : Berger, Dassin, Fugain. Dautre part, Farmer ou Clerc traitent de sujets originaux et utilisent volontiers des formes lexicales remarquables.
3. Les tubes : plus de répétition, moins doriginalité
Le propos de notre recherche est de tenter de mettre en évidence les composantes lexicales qui pourraient caractériser les chansons à succès, tant sur la forme que sur le fond. Les tubes sont ils plus courts, plus répétitifs ?
|
TUBES |
AUTRES |
Effectif de la catégorie |
100 |
100 |
Nombre total de mots |
24704 |
23965 |
Longueur moyenne |
247.04 |
239.65 |
Nombre de mots différents |
3557 |
3980 |
Nombre d'hapax |
1484 |
1788 |
Répétition corpus |
6.95 |
6.02 |
Fréquence maximum |
655 |
696 |
Mot le plus fréquent |
de |
de |
Nombre de mots exclusifs |
1988 |
2411 |
Pourcentage du corpus |
50.8% |
49.2% |
Calcul de la répétition pour chaque
chanson
|
Répétition de la chanson |
TUBES |
2.33 |
AUTRES |
2.15 |
Total |
2.24 |
Résultats du test de Fisher :
F = 6.15, 1-p = 98.66%.
On constate que les caractéristiques textuelles des tubes sont statistiquement différentes en ce qui concerne la répétition. Les chansons à succès sont plus répétitives et donc moins riches. Par ailleurs, les tubes emploient des formes lexicales moins originales et donc plus banales. En ce qui concerne la longueur, la différence nest pas statistiquement significative (F=0,3 et 1-p=41%).
4. Le segment répété : une composante du tube
En isolant les segments répétés dont la fréquence est supérieure à 10 sur la totalité du corpus, on saperçoit que ces fragments appartiennent 2 fois sur 3 à une chanson à succès. Sur des bases de statistique textuelle (chi2 = 258,88, 1-p = 99,99%), nous pouvons donc dire que le segment répété est un élément qui semble faire partie intégrante de la chanson "performante". Favorisant la mémorisation, le principe de répétition est lun des premiers préceptes des techniques de persuasion, couramment utilisé en publicité notamment.
5 premiers segments répétés |
TUBES |
AUTRES |
TOTAL |
des_petits_trous |
30 |
0 |
30 |
Ne_me_quitte_pas |
23 |
0 |
23 |
Y_a_pas_de_honte |
23 |
0 |
23 |
touté_le_monde |
2 |
16 |
18 |
Unis_vers_l_uni |
18 |
0 |
18 |
TOTAL des segments cités au moins 10 fois |
220 |
100 |
320 |
5. Lintérêt dune implication plus personnelle de lartiste
Lintensité lexicale permet de mesurer le poids dune forme au sein dune unité statistique. Ici, nous nous intéressons au pourcentage de différents pronoms au sein des chansons. Nous lisons dans le tableau ci-dessous que lintensité lexicale de "je" est nettement plus forte dans les tubes, alors que le poids de "tu" nest pas statistiquement différent. Ce résultat traduit limportance de limplication personnelle de lartiste dans sa communication avec son public.
|
Intensité de JE |
Intensité de TU |
TUBES |
2.70 |
0.86 |
AUTRES |
1.83 |
0.69 |
Total |
2.26 |
0.78 |
Résultats du test de Fisher |
F = 6.10, 1-p = 98.62% |
F = 0.74, 1-p = 60.34% |
6. Des verbes pour le dire
Létude des verbes montre un phénomène intéressant. Les verbes les plus fréquemment utilisés et donc les plus courants sont employés indifféremment dans les deux types de chansons. En revanche, certains verbes sont spécifiquement usités dans les chansons à succès. Il est difficile de les caractériser même si lon pourrait dire quil sagit de verbes artistiques (chanter, danser), communicants (parler, regarder) ou affectifs (aimer, pleurer). Dans les tableaux suivants, nous présentons les occurrences sur lunité statistique de la chanson (94% des tubes utilisent le verbe être par exemple.
Tube Verbes |
TUBES |
AUTRES |
être |
94 |
99 |
avoir |
89 |
94 |
faire |
58 |
53 |
aller |
38 |
38 |
dire |
43 |
42 |
vouloir |
44 |
33 |
pouvoir |
43 |
38 |
savoir |
37 |
38 |
falloir |
31 |
28 |
La dépendance n'est pas significative
(chi2 = 2.34, 1-p = 3.13%).
Tube Verbes |
TUBES |
AUTRES |
aimer |
43 |
32 |
parler |
25 |
12 |
chanter |
22 |
12 |
pleurer |
19 |
12 |
regarder |
17 |
11 |
connaître |
8 |
15 |
danser |
15 |
7 |
tomber |
5 |
15 |
La dépendance est significative (chi2 = 17.02, 1-p = 98.27%).
vie |
151 |
amour |
147 |
temps |
120 |
jour |
100 |
cur |
88 |
monde |
77 |
nuit |
76 |
moi |
73 |
femme |
63 |
homme |
59 |
an |
57 |
main |
56 |
enfant |
53 |
histoire |
53 |
Nous observons ici le nombre de citations pour chaque forme sur la totalité du corpus. Les substantifs les plus fréquents nous permettent de lister les thèmes favoris des chansons françaises. Nous ne sommes pas surpris de retrouver la vie, lamour, le temps, le cur et le monde...
7. La force des sentiments
Les résultats suivants présentent les taux de présence des mots concernés. Les substantifs relatifs aux sentiments sont nettement plus usités dans les chansons à succès. 42% des tubes évoquent lamour contre seulement 25% des autres textes. La peine, lespoir, le chagrin, la joie, la solitude et lindifférence qui sont les sentiments les plus fréquents sont également privilégiés dans les fleurons de la chanson française. Les sentiments nous apparaissent ici comme un bon ingrédient du succès.
Tube Sentiments |
TUBES |
AUTRES |
Non-réponse |
38 |
51 |
amour |
42 |
25 |
peur |
10 |
14 |
bonheur |
7 |
5 |
espoir |
7 |
4 |
peine |
8 |
3 |
haine |
4 |
4 |
malheur |
3 |
4 |
indifférence |
5 |
1 |
joie |
6 |
0 |
chagrin |
5 |
1 |
solitude |
5 |
0 |
La dépendance est significative (Chi2 = 23,96, ddl = 11, 1-p = 98,71%). Pour les quatre derniers sentiments, le test du chi-deux nest pas réellement applicable, mais les différences sont très fortes (5 contre 1 ou 6 contre 0).
8. La présence du corps
De la même façon, les mots désignant les parties du corps semblent plus fréquemment utilisés dans les chansons à succès. La présence de la main, des yeux, des bras et du corps est corrélée avec la réussite de luvre, le pied et la peau seraient à éviter...
Tube Corps |
TUBES |
AUTRES |
Non-réponse |
29 |
34 |
cur |
21 |
25 |
main |
24 |
14 |
il |
25 |
8 |
pied |
8 |
14 |
bras |
13 |
8 |
tête |
9 |
11 |
peau |
6 |
12 |
corps |
8 |
3 |
La dépendance est significative
(chi2 = 18,76, 1-p = 98,38%).
9. Lindifférence des adjectifs
En ce qui concerne les adjectifs, on ne note aucune particularité marquante sur les formes les plus fréquentes. On notera tout de même la forte utilisation de ladjectif "petit", présent dans près de 30% des uvres.
Tube Adjectifs |
TUBES |
AUTRES |
Non-réponse |
8 |
10 |
petit |
27 |
26 |
seul |
22 |
22 |
beau |
19 |
23 |
grand |
19 |
17 |
autre |
15 |
16 |
même |
9 |
16 |
noir |
11 |
14 |
tout |
11 |
13 |
La dépendance n'est pas significative
(chi2 = 2,40, 1-p = 3,38%).
10. Des rimes qui sonnent
Le dernier volet de nos résultats traite des composantes phonétiques. Comme nous lavons dit en introduction, en matière de chansons, il ne semble pas convenable de limiter notre réflexion aux seuls aspects textuels, la chanson est un exercice artistique où les mots, la musique et les sonorités entrent en synergie. Pour tester lhypothèse selon laquelle il existerait des rimes privilégiées au sein des "tubes", nous avons tout dabord isolé la rime finale de chaque vers, grâce à une procédure particulière du Sphinx Lexica. Nous avons ensuite travaillé sur les 50 rimes les plus fréquentes en les regroupant par phonèmes. Les résultats observés sont très significatifs.
Il apparaît tout dabord que les tubes utilisent des rimes beaucoup plus banales, ce qui confirme leur caractère répétitif. Par ailleurs, certains phonèmes sont effectivement sur-représentés dans léchantillon des chansons à succès (chi2 = 175,75, 1-p = 99,99%). Il sagit de phonèmes dominés par les "a", "an" et "in" notamment, ce qui représente les voyelles dites "nasales" (Warnant, 1973) qui produisent des sonorités relativement chaudes. Ces résultats valident les premières hypothèses qui pouvaient être formulées.
|
TUBES |
AUTRES |
TOTAL |
Rimes en a |
284 |
198 |
482 |
Rimes en i |
79 |
122 |
201 |
Rimes en in |
114 |
70 |
184 |
Rimes en an |
104 |
43 |
147 |
Rimes en our |
86 |
39 |
125 |
Rimes en o |
40 |
35 |
75 |
Rime en ar |
32 |
38 |
70 |
Rimes en ou |
45 |
23 |
68 |
Rimes en ère |
32 |
33 |
65 |
Rime en ème |
52 |
10 |
62 |
Rimes en eu |
49 |
11 |
60 |
Rimes en é |
18 |
40 |
58 |
Rimes en ète |
19 |
36 |
55 |
Rimes en on |
30 |
13 |
43 |
Rimes en ir |
31 |
7 |
38 |
Rimes en asse |
13 |
22 |
35 |
Rimes en or |
14 |
17 |
31 |
Rimes en eul |
24 |
6 |
30 |
Rimes en al |
9 |
20 |
29 |
Rimes en ance |
24 |
4 |
28 |
Rimes en èle |
16 |
11 |
27 |
Rimes en è |
11 |
12 |
23 |
Rimes en am |
22 |
0 |
22 |
TOTAL |
1148 |
810 |
1958 |
11. Vers une validation du marketing textuel
H1 : La longueur des succès est plus limitée |
Rejetée |
H2 : La répétition est plus forte au sein des chansons à succès |
Acceptée |
H3 : Les succès peuvent être caractérisés par une sur-représentation de certaines formes textuelles, substantifs, verbes, adjectifs et pronoms. |
Acceptée sauf pour les adjectifs |
H4 : Les segments répétés sont plus nombreux au sein des chansons à succès |
Acceptée |
H5 : Les chansons à succès privilégient des phonèmes particuliers, plus "sonnants". |
Acceptée |
Les résultats de notre recherche convergent pour montrer que le marketing textuel semble faire sens dans lécriture des chansons populaires. En effet, les chansons à succès disposent globalement de caractéristiques lexicales et textuelles particulières. Sur la forme, pas forcément plus courts, les "tubes" sont en tous les cas moins riches et plus répétitifs. Lemploi des segments répétés y est plus fréquent. Ces résultats sont conformes à certains principes fondamentaux des théories de la communication qui préconisent la répétition et la simplicité pour favoriser ladhésion.
Sur le fond, nous pouvons lier la présence de certaines formes textuelles avec la réussite dune chanson : emploi de la première personne du singulier, de verbes artistiques et communicants, du vocabulaire du sentiment (lamour toujours) et du corps par exemple. De nombreux liens nont pas encore été testés et peuvent produire dautres résultats intéressants. Enfin, nous ouvrons une piste de recherche en ce qui concerne létude des aspects phonétiques. Lemploi des voyelles dites "nasales" semble plus efficace pour produire des sonorités plus attrayantes, ce qui confirme les considérations empiriques de certains auteurs.
Les résultats que nous venons de présenter doivent être considérés toutefois à la lumière des limites de notre travail. Celles-ci résident principalement dans la mesure de performance utilisée. Le classement des uvres en deux catégories - même sil a été validé par un groupe dexperts - nest que partiellement satisfaisant, il demeure en effet relativement subjectif pour évaluer le succès de la chanson. Il aurait été plus juste de disposer de données objectives comme le volume des ventes de chaque titre, données qui nétaient pas suffisamment accessibles pour effectuer une étude complète. Par ailleurs, et malgré lintérêt des résultats observés, il semble important de ne pas faire totale abstraction dautres facteurs qui vont influencer et interagir sur la performance dun texte. Il est évident quune chanson ne peut être complètement appréhendée sans sa musique, un discours politique sans la gestuelle de lorateur et un slogan sans les autres composantes de léxécution publicitaire (image, musique éventuellement).
Conformément à notre objectif initial, notre recherche a permis de mettre en relation des caractéristiques textuelles avec des éléments de performance. Cette approche du marketing textuel semble pouvoir être élargi à dautres formes dexpressions. Selon une approche similaire, il apparaît intéressant disoler les composantes lexicales et textuelles des slogans publicitaires, des argumentaires de vente, des discours politiques et détudier leurs liens avec des mesures de perception et de performance (adhésion, conviction par exemple), mises en uvre auprès dun échantillon représentatif dauditeurs. Ces travaux permettront de confronter un certain nombre de préceptes empiriques à une expérimentation scientifique.
Références
Baulac, Yves et Moscarola, Jean (1995). Le Sphinx Lexica, manuel de référence, Le Sphinx Développement Annecy France.
Gardes-Tamine, Joëlle (1996). La rhétorique , Paris : Armand Colin/Masson.
Gavard-Perret, Marie-Laure et Moscarola, Jean (1995). From Uterance to Enunciation : for a Re-reading of Lexical Analysis in Marketing, Proceedings of the 1st International Research Seminar on Marketing Communications and Consumer Behavior, La Londe des Maures (IAE dAix-en-Provence), pp. 212-243.
Heim, Jacques André (1988). Écouter, argumenter, vendre, Paris : Eyrolles.
http ://members.tripod.com/~baltaro/
http ://webhome.infonie.fr/botaneige/
http ://www.math.umn.edu/~foursov/
http ://www.sirius.com/~alee/
http ://www.worldnet.fr/~apperrin/
Moscarola, Jean (1995). Balladur, Chirac, Jospin, Les mots dune campagne. Quelques exemples danalyse lexicale avec le Sphinx, JADT 1995, III Giornate internazionali di Analisi statistica dei dati testuali, Roma : CISU.
Ramos, Jean-Marc et Reinert Max (1995). Les mondes lexicaux dArthur Rimbaud, JADT 1995, III Giornate internazionali di Analisi statistica dei dati testuali, Roma : CISU.
Warnant, Léon (1973). Dictionnaire des rimes orales et écrites, Paris : Larousse.